Ali el-Amine à « L’OLJ » : Les accusations de collaboration avec Israël pourraient paver la voie à des actions hostiles

Le journaliste Ali el-Amine

Une énième attaque a été lancée hier sur les réseaux sociaux contre le site d’information Janoubia et son directeur, le journaliste et analyste politique Ali el-Amine, accusant ce dernier d’être « financé par Israël ». Désormais connu pour ses prises de position hostiles au Hezbollah, ce chiite domicilié à la banlieue sud s’est donné pour objectif, depuis quelques années, d’exprimer « une opinion différente au sein de la communauté chiite » et d’être « la voix de ceux qui sont silencieux ».

« La campagne contre Janoubia ne s’est jamais arrêtée. Mais c’est la première fois que nous avons affaire à un texte attribué à des sources sécuritaires libanaises qui nous accusent de collaborer avec Israël », explique M. Amine à L’Orient-Le Jour. Dans les faits, un court texte en langue arabe, qui affirme que le site Janoubia est financé par Israël, a été diffusé hier sur l’application WhatsApp ainsi que sur les réseaux sociaux.

« Des sources sécuritaires libanaises ont indiqué que le porte-parole de langue arabe de l’armée israélienne, Avichai Adraee, supervise désormais les informations publiées par le site Janoubia. L’ambassade des États-Unis à Beyrouth a cessé de financer le site, ce qui a poussé Ali el-Amine à contacter M. Adraee et demander son soutien », pouvait-on lire sur Facebook. « Il est inutile de s’arrêter à ces accusations ridicules et nous n’avons jamais été directement menacés.

Mais nous nous demandons quand même si la diabolisation de notre site et la création d’un climat qui indique que nous devons être pris pour cible ne sont pas en train de paver la voie à d’autres actions à venir à notre encontre », précise M. Amine.

Par ailleurs, ni le Hezbollah ni les responsables sécuritaires libanais ne se sont prononcés hier sur ce texte. « Les responsables sécuritaires essaient de ne pas se mêler des affaires liées au Hezbollah. Ils considèrent que ces incidents concernent les ressortissants de l'”État Hezbollah” et affichent un désintérêt total. L’affaire Hachem Salmane (activiste chiite tué en 2013 devant l’ambassade d’Iran à Beyrouth, lors d’une manifestation contre l’implication de l’Iran dans la guerre en Syrie) en est un exemple flagrant. S’il n’avait pas été chiite, il y aurait sûrement eu des membres du gouvernement qui auraient demandé à connaître la vérité sur sa mort », dénonce le directeur de Janoubia.

Certaines sources médiatiques ont, quant à elles, confié à L’OLJ que le Hezbollah n’était probablement pas directement impliqué dans cette affaire et qu’il s’agirait de l’œuvre de quelques groupes qui gravitent autour de lui et qui lancent en permanence des anathèmes contre ses détracteurs sur les réseaux sociaux.

Un lectorat grandissant
Le journaliste et vice-président de la fondation SKeyes, Malek Mroué, attribue l’attaque contre Janoubia à la popularité grandissante du site. « Les internautes qui consultent Janoubia augmentent sans cesse. Le site a 10 000 visiteurs de plus chaque mois », confie-t-il. « On sait que ce site adopte des positions différentes de celles du Hezb et qu’elles créent un véritable effet boule de neige », ajoute-t-il. Selon M. Mroué, les internautes cherchent une alternative aux médias du parti de Dieu, surtout après « ses positions contre les pays du Golfe, qui sont allées trop loin et qui mettent en danger le travail d’un grand nombre de personnes ».

Il cite également « le dévoilement progressif de la nature de l’implication du Hezbollah en Syrie » comme une des raisons de la popularité du site. « Le Hezbollah est en train de dépouiller le Liban de son arabité et de l’entraîner dans une aventure persane qui ne le regarde pas », dénonce-t-il.

Hanine Ghaddar, rédactrice en chef de NowLebanon, indique également que le site Janoubia est « beaucoup lu dans la banlieue sud et par la communauté chiite ». « C’est mauvais pour le Hezbollah d’avoir des chiites qui se posent des questions, et ce site touche un large public, explique-t-elle. Beaucoup de chiites de la banlieue sud ont eu dernièrement des problèmes avec le Hezbollah », ajoute-t-elle.

Une information confirmée par Ali el-Amine qui indique être contacté en permanence par des chiites, souvent pro-Hezbollah, et qui désirent faire passer des messages au parti suite à des problèmes rencontrés sur le terrain. « Nos contributeurs sont à 90 % chiites et nous contactent souvent en secret », indique-t-il. Près de 60 % des visiteurs du site sont libanais et font partie, selon M. Amine, à la fois des partisans et des opposants au parti, « ce qui prouve que Janoubia réussit à toucher et faire réagir un lectorat diversifié ».

Il explique toutefois que Janoubia est un site modeste, qui fonctionne avec 5 ou 6 employés et qui ne prétend pas vouloir changer le monde. « Nous sommes avant tout une plateforme d’informations et nous ne faisons qu’exprimer notre opinion », précise-t-il.

Une atteinte à la liberté d’expression
Face aux « accusations préfabriquées », Ali el-Amine estime que sa « seule arme est d’exprimer (son) opinion ». « Cette affaire va au-delà du site Janoubia et pose le problème plus global de la liberté d’expression », indique-t-il. Une constatation que partage le journaliste Hassan Fahs qui se déclare « opposé à tout ce qui touche à la liberté de la presse ». « Je suis contre la limitation des libertés médiatiques contre qui que ce soit et par n’importe quel parti politique », précise-t-il à L’OLJ.

« Le site Janoubia est peut-être en train de causer du tort au Hezbollah. Mais les responsables du parti sont prudents dans leur manière de se comporter avec Ali el-Amine. S’ils haussent le ton, ça se retourne contre eux, et s’ils se taisent, ils savent que le site ne se taira pas », estime-t-il.

« Il s’agit là d’une pression que certains ne supportent pas, confie Ali el-Amine. Mais si jamais il y a quelque chose à nous reprocher, la justice libanaise est là », ajoute-t-il. L’activiste politique Lokman Slim dénonce quant à lui des « campagnes menées constamment par les outils de propagande du Hezbollah ». « La poursuite de la confrontation est la seule chose qui pourra nous protéger des accusations de collaboration », explique-t-il.

Le ministre démissionnaire de la Justice, Achraf Rifi, a exprimé hier son soutien à Ali el-Amine sur son compte Twitter et a appelé à préserver la liberté d’expression au Liban. « Nous condamnons les accusations de traîtrise à l’égard de M. Amine de la part des partisans du Hezbollah.

Ces agissements confirment la nécessité de faire face à cette nouvelle tutelle afin de préserver la liberté d’expression », a-t-il écrit. Le site des Forces libanaises a également dénoncé, dans un article, les atteintes à « la liberté d’expression et la diversité des points de vue », et exprimé son soutien à M. Amine.

Hanine Ghaddar évoque elle aussi un « problème relié à la liberté d’expression ». « J’appuie le fait que Janoubia ait divulgué ces accusations. Il faut que chaque personne ou entité menacée le fasse savoir afin de faire porter la responsabilité à ceux qui brandissent les menaces », précise-t-elle, avant d’ajouter : « La situation est en train de changer. Les habitants des régions contrôlées par le Hezbollah souffrent du chaos qui y sévit et de graves problèmes socio-économiques. Le seul problème est qu’il n’y a pas de réelle alternative pour l’instant. »

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